18 janvier 2004
Hôpital de jour : Tout va de travers ce matin, la sage femme n'arrive pas a effectuer un monitoring correct et s'y reprend à maintes reprises. J'ai hâte de rentrer, j'étouffe et il va être bientôt midi. On me fait encore et encore attendre dans le couloir et manque de chance mon obstétricienne est en vacances...c'est un médecin que j'ai déjà aperçu qui est enfermé dans le bureau. Je vois les autres patientes partir les unes aprés les autres puis un autre médecin arriver. Les voilà tous les deux à présent réunis et vu que je suis la dernière, j'ai un trés mauvais pressentiment...
A 13h n'y tenant plus, je frappe à la porte en leur demandant si j'en ai encore pour longtemps, ils sont un peu surpris par mon intrusion mais me recoivent. Tous les deux jeunes, mon dossier ouvert devant eux avec les résultats des monito, des analyses, et le compte rendu de Poissy, ils ont l'air bien embarrassés...mon coeur s'emballe lorsqu'ils me disent que les analyses du matin sont mauvaises. Ils ne peuvent pas me laisser partir...je leur répond qu'il est hors de question que je me refasse hospitaliser, pourquoi ne pas augmenter les doses des médicaments ? non il n'y a rien à faire, ils ont le visage fermés et un petit air supérieur qui me met trés mal à l'aise. Je ne suis qu'un dossier compliqué et ils ne veulent prendre aucun risque. Pour finir ils m'assènent "Si vous partez, vous nous signez une décharge avant" encore un coup sur la tête, je me rends compte qu'il n'y a rien à faire. Je tente de négocier : d'accord je vais venir mais en fin de journée, le temps de voir mon fils et de préparer mes affaires, je leur rajoute que je ne suis pas inconsciente et que je tiendrai parole. A ma grande surprise, ils acceptent.
Je suis trés mal sur le trajet du retour, et la perspective du soir me révulse, je n'arrive même plus à me raisonner. Le plus dur est la séparation avec mon petit garçon, je ne la supporte plus du tout.
Je rentre épuisée moralement par cette matinée et m'endors, nous allons chercher mon fils à l'école, il est tout heureux de nous voir son père et moi mais je lui explique qu'il faut à nouveau être courageux, il ne répond pas, regarde par la vitre, ses yeux sont perdus dans le vague. J'ai mal de le voir ainsi. A notre arrivée, il s'est endormi, je ne souhaite pas qu'il rentre dans le centre hospitalier. Je l'embrasse, je connais le chemin par coeur. Pour rassurer mon compagnon et me rassérener tant bien que mal, je projette de demander au médecin qui passera me voir, d'augmenter le traitement, et ils me laisseront surement sortir. Trouver un peu d'espoir dans ce que l'on peut...
19 janvier 2003
Je me sens entre quatre murs, enfermée, d'ailleurs les fenêtres ne peuvent s'ouvrir sans un passe, l'hôpital m'apparaît à présent comme une prison. Impression renforcée ce matin par le médecin de garde,surement expérimenté vu son âge mais totalement imbus de lui-même, lorsque je l'ai questionné sur une éventuelle augmentation du traitement, il est monté sur ses grands chevaux, et m'a durement répondu que ma place était ici, un point c'est tout. Il a tourné les talons et a pratiquement claqué la porte de la chambre. Aprés toutes ces épreuves, l'entendre me parler ainsi me laisse complétement anéhantie. La colère prend le dessus et je le maudis lui et toute l'admnistration hospitalière pour laquelle je ne suis qu'un terme génerique "patiente" (le mot est d'ailleurs bien trouvé), cet homme a oublié ou bien n'a jamais su qu'avant d'être un dossier ou une patiente, je suis une femme avec une famille, un travail, une vie, et une histoire actuelle douloureuse, non pas une réduction d'être humain auquel on peut parler de cette façon.
Une trés jeune sage-femme a assisté à la scène, elle devait me faire le monitoring. Elle est restée muette devant son supérieur qui porte si bien non nom. Je lui parle de ma douleur à laisser mon fils encore une fois, elle m'écoute, m'encourage à parler, essaie de me remonter le moral. Elle fait le maximum pour m'aider à me sentir mieux, elle débute, et ne s'en sort pas avec le monitoring, elle va me faire une écho pour mieux les localiser et part chercher l'appareil, voilà mes filles à l'écran, je m'apaise et m'ancre à nouveau dans la réalité de cette grossesse difficile. Les nouvelles sont bonnes, Camille pése presque 1 kg et Elena 800g. Malgré la cholestase, leur croissance continue. Il s'agit de ma seule joie dans cet univers qui m'est devenu hostile . Je remercie cent fois la jeune-fille, elle travaille en alternance aux grossesses pathologiques à la maternité et en salles de naissance... Je ne la reverrai pas.
La stratégie de l'escargot
Une infirmière m'a injecté la première piqure de corticoïdes, dans le but d'accélerer la maturation des poumons des bébés à la vie aérienne. A ce stade, ils n'ont pas encore "fabriqué" la couche protectrice dont sont tapissés ces organes. Je reste cependant dans le flou concernant le terme de leur naissance car tout dépend de mon foie. Tous les deux jours, prise de sang à l'aube, il fait encore nuit, je tends juste mon bras, articule bonjour et au-revoir et tente de me rendormir.
C'est la stratégie de l'escargot : je me renferme de plus en plus sur moi-même, ne sortant de ma coquille que lorsque le climat m'est clément c'est à dire lorsque j'ai des visites des miens ou une sage-femme sympa, ce qui n'est pas si courant. Les journées se ressemblant, mon rythme est lent comme le sien mais chaque jour, mes bébés avancent quand même un peu plus dans leur croissance. Je n'ai jamais regardé autant de documentaires, ils sont ma seule coupure dans le cheminement de mes pensées. Je ne parviens plus à lire ni à faire quoique ce soit de mes mains. Comme la bestiole à coquille, je suis bien basse sur cette terre avec la peur d'être écrasée par ce que je ne maîtrise pas. De ma fenêtre, une colline niçoise, j'aperçois au loin les gens dans leur va et vient quotiden et juste en bas les visiteurs avec des sacs ou des fleurs s'engouffrer dans l'hôpital. L'univers s'est rétréci dans ma coque, je me souviens d'un pique-nique dans le moyen pays, à la montagne, mon fils avait 3 ans et nous essayions d'attrapper le vent...Ces instants de bonheur et d'intense liberté me paraissent loin si loin comme si ils étaient perdus, ils m'en font mal.
La pédopsychiatre (psy pour enfant) du service de néonatologie passe me voir un matin et me demande si je veux discuter un peu, je lui déballe tout, ma surprise de cette double grossesse, mes doutes, ma joie, mes angoisses, la souffrance, l'attente, la solitude, l'espoir, le bonheur et puis à nouveau la peur...les mêmes sentiments en boucle... Elle m'écoute, parler c'est vivre, j'en suis sûre, elle me propose de revenir dans quelques jours, j'accepte pour me sentir mieux.
Ce matin, j'ai dû "pomper" en ouvrant et repliant les doigts dans ma main pour que le sang arrive, une sage-femme revient avec une grosse seringue, vitamine K, je n'ai plus de plaquettes sanguines, mon corps comme mon esprit s'épuise.
Enfin mon osbtétricienne revient de ces congés, elle va m'augmenter les cachets et je vais alterner les prises des médicaments. Elle va essayer de me faire sortir le samedi suivant, cela s'appelle une "permission". Elle cherche toujours à agir vers le mieux, c'est cela qui me plaît en elle et qui m'aide à avoir confiance. Elle regrette que je ne puisse pas bénéficier de l'hospitalisation à domicile, elle n'est pas seule décisionnaire et doit se plier aux exigences des autres médecins attachés à ce service.
Je ne sais pas si cela est dû son retour et à ses prescriptions ou la persperctive d'une éventuelle sortie, mais mes résultats s'améliorent quelque peu.
Les enfants ont une capacité d'adaptation incroyable, lorsqu'il me rend visite les mercredi et dimanche, mon fils est autorisé a rester quelques minutes dans la chambre, le lit électrique à télécommande est un jeu comme un autre, il me fait également des dessins ou amène sa pate à modeler. Un enfant bouge et ne sait pas être silencieux trés longtemps, il ne vit pas au ralenti, lorsque la sage-femme nous le signifie, nous quittons la chambre et là encore le jeu de l'ascenseur entre tous les étages nous fait passer un moment, enfin le rituel du goûter aux distributeurs dans le hall, une pièce pour le paquet de biscuits et une autre pour la mini boisson. Il se débrouille bien avec son papa, son école se passe normalement, bien que la maîtresse l'ai récupéré en le sermonnant dans la cour aprés la récréation, il était resté là, tout seul un peu perdu et ne lui a pas fourni d'explications. Depuis mon mari lui a fait part de mon retour à l'hôpital.
Un enfant
Un enfant ça vous décroche un rêve ça le porte à ses lévres et ça part en chantant
Un enfant Avec un peu de chance ça entend le silence et ça pleure des diamants
Et ça rit à n'en savoir que faire Et ça pleure en nous voyant pleurer Et ça s'endort de l'or sous les paupières Et ça dort pour mieux nous faire rêver
Un enfant ça écoute le merle qui dépose ses perles sur la portée du vent
Un enfant c'est le dernier poète d'un monde qui s'entête a vouloir devenir grand
Et ça demande si les nuages ont des ailes Et ça s'inquiète d'une neige tombée
ET ça croit que nous sommes fidèles Et ça se doute qu'il n'y a plus de fées
Mais un enfant et nous fuyons l'enfance
Un enfant et nous voilà passants
Un enfant et nous voilà patience
Un enfant et nous voilà passés.
"Un enfant" de Jacques Brel Editions Bagatelle SA 1965
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