Une jeune femme blonde arrive dans la petite salle de consultation, pas trés grande, jolie, son visage est juvénil et contraste avec sa voix ferme. Elle est accompagnée de deux internes. Je ne l'avais pas compris de suite, mais "le médecin", c'est elle. Nous voici à six personnes dans cette salle à moitié ouverte sur un couloir, elle étudie mon dossier puis reprend l'échographie, les internes regardent l'écran et l'écoutent.
Tous ces regards me donnent envie de me transformer en souris afin de filer au plus vite dans mon trou, je suis trés mal à l'aise au sens propre comme au figuré. Je ne suis plus qu'un sujet à examiner.
Je ravale ma pudeur et essaie de me concentrer sur ses paroles afin de connaître l'état de santé des bébés et l'explication du syndrome transfuseur-transfusé.
Tout est trouble sur la lune, mais voila, elle les voit, le premier nage dans une piscine olympique, il a des oedemes. Le second est comme dans un bas nylon, collé à sa poche, n'ayant plus de liquide amniotique...
Le ciel s'écroule lentement mais surement sur nos têtes.
Je crois défaillir, je serre les poings, elle s'adresse à nous maintenant, sa voix se fait plus douce, plus lente aussi comme si cette lenteur pouvait atténuer l'horreur de ce qu'elle a a nous expliqué. Les mots nous écrasent sans pitié, et le temps qu'elle prend, nous permet juste de reprendre un peu notre respiration complétement bloquée par les émotions qui montent sans pouvoir se frayer un passage.
Mon mari est en face de moi, le mur derrière lui le soutient, son visage s'est assombri, ses yeux se sont creusés. (à l'instant, si je n'avais pas compris que c'était si grave, il me suffirait de le regarder pour le comprendre)
Le S.T.T. :
Lorsque les deux foetus partagent le même placenta, il y a des liaisons entre leurs circulations sanguines appellées "anastomoses". Ce peut être superficiel, simplement veineux mais le S.T.T. apparaît dans le cas où il y a un déséquilibre entre les échanges de circulation sanguine, entre une artère de l'un sur une veine de l'autre. L'un reçoit plus qu'il ne faudrait et l'autre dépérit. Le premier est le transfusé et le second le transfuseur. C'est ainsi qu'il seront appelés à partir de ce moment là par le corps médical.
Je n'entendrai plus les jours qui vont suivre "foetus" et encore moins "bébés".
Le seul traitement proposé, il y a quelques années, étaient l'amniodrainage, c'est à dire enlever l'excés de liquide amniotique mais cela ne résout pas le problème à la base.
Je suis anéhantie, je voudrai hurler mais aucun son ne sort de ma bouche. La mort est en route, là dans mon ventre.
Elle nous explique que trois centres hospitaliers en Europe, pratiquent une intervention in-utéro pour tenter les de sauver : en Angleterre, en Belgique et en région parisienne. Je retiens cette phrase comme on retient la main qui nous empêche de se noyer. Elle a travaillé dans le dernier hôpital et connaît bien le professeur qui dirige ce service.
Pour le moment elle demande un bilan sanguin complet et s'énerve au téléphone avec la surveillante du service des grossesses à risque pour me trouver une chambre mais elle parvient à ses fins.
Elle m'attendra en fin d'aprés-midi pour refaire une écho avec les dopplers dans une salle plus appropriée.
Nous nous retrouvons seuls avec mon mari, attendant la prise de sang, nous ne savons plus où nous en sommes mais avons un sentiment fort de colère pour ceux qui n'ont rien vu avant. Le désespoir recouvre bientôt cette sensation, j'ai froid alors que l'ambiance est étouffante, sur une porte est indiquée la marche à suivre pour se servir des kits pour les femmes violées qui arrivent là. Une pièce réservée aux horreurs en tout genre, en quelque sorte...
"Tous ces regards me donnent envie de me transformer en souris afin de filer au plus vite dans mon trou...Je ravale ma pudeur et essaie de me concentrer ...Je crois défaillir, je serre les poings...les émotions qui montent sans pouvoir se frayer un passage. " et j'en passe, tous ces mots qui montrent combien la femme enceinte perçoit difficilement l'idée de perdre un, deux bébés ou que l'un soit malade. Le corps médical oublie parfois que la maman n'est pas malade, qu'elle porte l'enfant et indirectement ses difficultés. Comment peut-on aujourd'hui encore oublier de ménager une personne si fragile qui a besoin plus que quiconque d'être forte? Comment peut-on laisser encore des locaux si peu humanisés ? L'espoir et le soutien moral doivent évoluer dans le même sens que les formidables évolutions techniques. La grossesse pathologique devrait mieux être accompagnée en double direction : accompagner la maman dans sa pathologie spécifique mais ne pas oublier qu'elle a aussi le droit à se préparer à sa maternité, quelle qu'elle soit.
Rédigé par : Isabo | 26.04.2007 à 16:59
Mes yeux sont accrochés à tes mots depuis que tu as lancé ce blog.
Chacun de tes post est une déferlante de souvenirs pour nous et nous rappelle toutes ces émotions qui se succèdent et s'entremêlent en quelques mois à peine - la surprise, la joie, la douleur, l'incompréhension, l'angoisse, la colère, la solitude, l'espoir, la gratitude et l'intense bonheur que nous finissons par vivre au quotidien grâce à la magie de quelques hommes et femmes exceptionnels dans un monde médical manifestement assez laxiste (incompétent ?) sur le sujet.
Bravo pour ton initiative pleine d'espoir pour les futurs parents de jumeaux et qui j'en suis certaine contribuera à palier les défaillances de certains médecins qui ne jugent pas nécessaire de s'inquiéter de ces anomalies "mineures" de la grossesse mono-bi.
Félicitations donc et nous attendons la suite avec impatience.
Rédigé par : mislab | 19.09.2006 à 22:37