Voici le témoignage de Mathilde qu'elle a elle-même intitulé, "une course contre le temps" qui l'a conduit jusqu'en Belgique à Louvin où les équipes médicales réalisent des prouesses elles aussi comme on a pu le voir dernièrement dans le reportage d'envoyé spécial.
Antoine et Benjamin ont 9 mois et demi : comme tous les parents, on est fous d’eux – on les cajole on les embrasse, on les fait rire, on les nourrit, on les console…. Un lien s’est tissé – un lien solide, tressé avec amour, une sorte de cordon ombilical mais doublé, voire triplé, quadruplé. On était quatre- on s’est battu – on est resté quatre. C’était il y a tout juste un an :
Jeudi 23 Mars 2006 :
Enceinte de 5 mois, et de jumeaux monozygotes, je suis au travail – Plutôt menue d’habitude, mes collègues me charrient – « tu grossis à vue d’œil ! » , « non de jour en jour ! » « non, c’est vrai que tu es vraiment grosse …» - Heureuse de mon état, mon ventre est une fierté et je ne laisse pas paraître mon inquiétude…. Et pourtant, il me semble que quelque chose cloche ; je n’arrive plus à aller travailler, la route (60 kms), les bouchons sans compter que je n’arrive plus à m’asseoir derrière mon bureau , je sens que je commence à « Fatiguer », heureusement demain c’est le grand jour !! Je passe la deuxième échographie-
Vendredi 24 Mars 2006 :
Pourtant, mon gynéco est au courant, je l’ai vu en consultation il n’y a pas si longtemps et je n’ai pas pour habitude de geindre mais je me sens lourde, éreintée et la route est devenue un calvaire – Ce soir, je lui en reparle –
18 heures : je retrouve Philippe à la Clinique
C’est mon tour – Enfin- Ce sont des garçons ! J’en étais presque sûre (sauf que j’ai 2 sœurs, 3 tantes et 8 grand-tantes !!!) donc nous sommes exceptionnels : d’une part des jumeaux et en plus des garçons : génial.
Un petit grain de sable pourtant : le gynécologue nous explique que je dois m’arrêter (enfin, il a compris) mais il parle d’autre chose que de mon état général – j’ai un hydramnios c’est à dire que les bébés sont dans une piscine : il y a trop de liquide amniotique- mais pas d’inquiétude- du repos et on se revoit dans 15 jours…..
SAMEDI 31 Mars 2006 :
Je suis au repos – les travaux ne sont pas finis – Eh oui, la naissance d’un bébé se prépare mais deux : c’est presque un déménagement ! Mais, aujourd ‘hui, je ne suis pas en forme, mon ventre est tendu, je suis allongée dans le canapé et je pleure ….. Doucement mais sûrement- Au fond de moi, je le sais, je n’irai pas au terme de ma grossesse, ce n’est pas possible car je vais éclater avant !!!
Il faut que je tienne trois mois au moins !! Comment font les autres ? je n’y arriverais pas-
Heureusement, Philippe me rassure – on va y arriver – Et puis, la consultation est pour bientôt – On pourra reparler de cette histoire d’hydramnios…Un peu calmée, mais pas totalement rassurée, je me dirige alors vers mon sauveur : mon ordinateur. Centre de recherche – Internet – Hydramnios ??
Blablabla… surplus de liquide…blabla.. on ne sait pas à quoi c’est dû … Apparemment, ce n’est pas grave ; il vaut mieux en avoir trop que pas assez.. blablabla – Ah, enfin ! les solutions : il y en a : on peut ponctionner le liquide par amniocentèse …. D’accord, ce n’est pas ce que je préfère mais bon, mieux vaut une solution que rien : je suis rassurée et c’est le principal.
DIMANCHE 2 Avril 2006 :
Philippe va au club et voit notre médecin traitant- Il en profite pour lui parler de mon angoisse et… de ma recherche internet !! Ah ces jeunes ! à s’informer n’importe comment !
Lundi 3 Avril 2006 :
J’appelle mes proches – les travaux continuent –« tu crois que c’est normal d’être aussi grosse, quand même ?? » « Mais enfin, tu attends des jumeaux ; » « tu aurais du voir Mme Machin ; elle portait son ventre avec une écharpe » ou « ta tante, elle, ne voyait même plus ses pieds »
A force de vouloir être rassurée, on se rassure ! Mais, Philippe , tu crois que je devrais retourner à la clinique pour demander…. Quoi ? d’ailleurs : je sais ce que j’ai : un hydramnios !
Mardi 4 Avril 2006 :
14 h : Je n’en peux plus : mon prochain rendez-vous est encore dans quelques jours mais tant pis, ma décision est prise, je prends ma voiture- direction la clinique – Les sages femmes me reçoivent – Monitoring : j’ai des contractions (première nouvelle !) et mon col est ouvert ! Plutôt mauvais signe…pas de signe de mon gynécologue- il doit être en rendez-vous - Si, le voilà – on me transfère tout de suite sur ARRAS après une piqûre de celestène – L’angoisse revient tout à coup – pas d’explication – J’appelle Philippe au boulot – l’Ambulance n’arrive pas – l’attente commence –
Fin d’après-midi : 18 h : j’arrive à ARRAS, l’hôpital est en travaux : c’est chaotique !! on me prends en charge, me perfuse, prise de sang – antibiotique – Un médecin arrive : elle va me faire une échographie ; résultat : Effectivement, il y a vraiment beaucoup de liquide pour le jumeau B – En attendant, on va me transférer dans une chambre, demain matin, son confrère refera une écho car il y a une suspicion de STT- Quésaco ??? le syndrome transfuseur-transfusé : il y a trop de liquide pour le jumeau B et pas assez pour le jumeau A mais bon elle n’est pas sûre et le spécialiste c’est son confrère.
Mercredi 5 Avril 2006 :
Voilà le spécialiste des grossesses à risques, car ici c’est une maternité de niveau 3 – et il pense que …. Oui, a priori Jumeau A : 680g / Jumeau B : 800g c’est un syndrome transfuseur-transfusé donc ….il ne comprend pas pourquoi on m’a transférée ici et pas à Jeanne (Jeanne de Flandre : NDLR ) niveau 4 !! ce n’est pas de sa compétence … il faut tout de suite me transférer à Jeanne de Flandre pour confirmer le diagnostic…
Il nous expose les solutions
1/ risque vital si accouchement
2/ Ponction du liquide à Jeanne de Flandre mais risque important
3/ Possibilité de suture des vénules au laser mais pratique en cours de mise au point à LEUVEN en Belgique.
10 h 30 : Transfert en SAMU à Jeanne de Flandre.
Là, nous avons explosé les niveaux de maternité mais nous sommes sonnés…
LILLE- Jeanne de Flandre :
On recommence : échographie de confirmation – même diagnostic – STT – les bébés ne s’appellent plus A et B mais transfuseur / transfusé mais ils évoluent bien –
Une sage femme passe nous rassurer ….
Jeudi 6 Avril 2006 :
Mon point fort : le sommeil : tant d’imprévus, de voyages, d’examens m’ont épuisée – De toute façon, je sais que je ne peux rien …. Seuls les professionnels qui m’entourent pourront peut-être….et j’ai confiance en eux.
L’Après midi : une nouvelle échographie avec un autre médecin qui confirme également le diagnostic : mais depuis la veille la hauteur de poche du jumeau B est passée de 10 à 15cms !
Le Docteur DERUELLE passera plus tard dans la chambre pour nous expliquer les inconvénients de chaque solution : le drainage amniotique et le laser ( qui permet également de prélever du liquide) : nous savons désormais que les risques sont importants dans les deux cas – Nous demandons à rencontrer un pédiatre pour nous expliquer les conséquences de la prématurité à ce stade mais également dans un avenir plus ou moins proche : l’impact neurologique ….
Dans la soirée , le professeur VAAST nous rencontre : je n’en peux plus, le dos est tendu, et le ventre encore plus ….je ne mange plus rien…. Longue discussion sur le mode opératoire : la moindre interrogation est soulevée – le temps s’est arrêté – Tant d’écoute et de disponibilité nous rassurent – Cependant, la solution du laser qui est a priori celle vers laquelle nous penchons, devra attendre le lundi, ce week-end, les spécialistes belges sont en colloque à Londres…
Vendredi 7 Avril 2006 :
La nuit a été épouvantable, je n’ai pas réussi à me lever, mon ventre est trop lourd, trop tendu … j’ai appelé une infirmière à 4 h mais je n’ai pas réussi à m’exprimer en pleurant.. Il faut m’aider : le compte à rebours est en fin de course !!
7 h : Le Docteur Deruelle passe avant son service – il comprend tout de suite que nous n’avons plus le temps- Inquiet, Philippe est revenu très vite ce matin – Décision est prise de me transférer ce matin en Belgique quitte à me ponctionner un peu de liquide avant – nous attendons le SAMU qui doit arriver d’urgence – l’équipe médicale de Leuven est prévenue et m’attend – l’ambulance a 1h30 de retard – J’arrive à 13 h 30 à Louvin après de nombreuses secousses et fort heureusement, Philippe, prévoyant , avait pris une carte routière : les ambulanciers ne savaient pas où aller !!
Louvin :
Je suis attendue ; la prise en charge est rapide : monitoring – prise de sang – échographie –La barrière de la langue est terrible : ici tout le monde parle flamand- Premier contact avec le Docteur LEWY qui va m’opérer –Elle insiste : il n’y a pas de temps à perdre – Il faut m ‘opérer au plus vite et surtout, si il y a un problème : à 25 SA, il vaut mieux ne pas s’acharner : ils sont trop petits…. – Nous sommes d’accord sur le principe mais mon Dieu qu’il est difficile de signer ces papiers !
Enfin, l’anesthésiste me pose encore quelques questions : non je ne suis allergique à rien, non rien de particulier et enfin direction la salle juste en face ; la salle d’opération. Cela devrait durer une heure- une heure trente. Je vois Philippe en face.
L’opération : durée 2h 30
Anesthésiée sous péridurale, malgré le stress et l’angoisse, je sombre dans le sommeil : la meilleure solution pour que les professionnels s’occupent tranquillement de moi ! Le réveil est en revanche un peu bizarre : pourquoi me donne-t-on des claques ? Je n’entends qu’un mot prononcé avec un drôle d’accent : « Respirez !! »
L’opération est terminée mais on fait des radios des poumons en direct sur la table d’opération ; j’ai fait un œdème pendant que l’on m’opérait : c’est certainement dû aux multiples perfusions de ces derniers jours.
Enfin, tout s’est bien passé :les anastomoses ont été coagulées avec succès : deux principalement : une grosse et une petite et ils en ont profité pour ponctionner quatre litres de liquide : ils étaient un peu surpris de la quantité mais je me sens mieux et sous mon masque à oxygène, un timide sourire renaît.
Toujours sous oxygène, perfusée, branchée, je suis méconnaissable mais néanmoins de très bonne humeur : Philippe est resté dormir dans la même salle des urgences de l’hôpital : et il a essayé la table d’accouchement ….. et avant moi encore ! Au moins, il saura ce que c’est. L’appétit revient c’est bon signe.
Toutes les deux heures, on est venu vérifier ma respiration, mon taux d’oxygène et Philippe réussissait à se lever entre deux pour confirmer…. Le tensiomètre m’incommode- Nous prenons des cachets pour dormir.
Samedi 8 Avril 2006 : 12 h 30 :
Le docteur LEWY vient faire une échographie – nous allons avoir des nouvelles des bébés. : ils vont bien – La vessie du jumeau A a déjà regrossi – même s’il ne dispose que de 20% du placenta
Leur apparence à l’écho est similaire – A la naissance, il sera peut être un peu plus petit que son frère mais il se rattrapera très vite. Qu’ils sont beaux !
Je n’étais pas censée rester en Belgique trop longtemps mais tant que mes poumons ne seront pas totalement drainés : on me garde ici sous oxygène dans ce qui est apparemment une salle d’accouchement ! J’ai l’autorisation d’enlever le masque pour grignoter un peu. Et mon père, inquiet, est arrivé pour emmener Philippe …..au restaurant !
Dimanche 9 Avril 2006 :
Toujours dans ma salle d’opération…. Le temps est long – Ce soir on me transfère dans une chambre – le Paris-roubaix en Flamand : pas mal !!
Lundi 10 Avril 2006 :
Retour en France – Direction Jeanne de Flandre – Philippe me suit dans tous les hôpitaux en voiture relais….. Quelques jours d’observation à LILLE et je pourrais rentrer chez moi- Repos obligatoire – position allongée – Il faudrait que je tienne 6 semaines supplémentaires …..
En attendant, je reviens en Ambulance tous les 10 jours à Jeanne de Flandre pour observation.
Le 30 Mai 2006 :
Antoine est né à 4 h 24 du matin et Benjamin à 4 h 28- Ils sont prématurés de 2 mois – l’accouchement s’est bien passé – Le Professeur VAAST est même passé dire Bonjour et m’indique qu’il n’aurait jamais cru à ce délai !
Entre temps, j’ai été hospitalisée 2 fois pour de nouvelles contractions et les cures de célestène m’ont été administrées.
Une nouvelle vie commence : Benjamin est en réanimation et Antoine est en néonatologie. Ils se portent bien pour leur poids : 1k 630g pour Antoine et 1k 850g pour Benjamin-
Désormais, dès que je vois une ambulance, je pleure….. et dès que je vois une couveuse, je pleure aussi ….
Mais nous avons eu de la chance …..
Je pense à toutes ces femmes africaines où le taux de gémellité est le plus fort du monde et qui n’ont pas la chance d’accoucher en Europe…..
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