J'ai connu Sabine lorsquelle m'a envoyé un mail pour Ramener la lune, ce qui m'a interpellé, c'est sa signature "Sabine, transfuseur". Elle m'a appris par la suite qu'elle s'occupait du site jumeaux.com (dont vous trouvez le lien dans "en savoir plus")
Voici son histoire, belle, incroyable et forte, merci beaucoup à elle de nous la faire partager :
1965
Papa et Maman attendent un heureux évènement pour début juin. Le médecin a annoncé un petit bébé, dernier contrôle ( avec le centimètre de couturière et le stéthoscope, à l'époque) prévu le 17 mai . Tout va bien. Maman précise que dans la famille ,on a des "petits formats" à terme : 2,8 k ou 3 kg. C'est aux U.S.A.
Dans la nuit du 14 au 15 mai ,Maman se fait conduire à la maternité. Pas de péridurale, Maman ayant choisi de suivre la voie européenne de prophylaxie de la douleur Le bébé attendu pointe le bout de son nez à 05h20.
Première réaction de l'obstétricien : faire peser ce bébé au plus vite ! Il devine...et il y a probablement la frayeur de sa carrière !
Pour le médecin , il est clair que Capuron est présent dans la salle.
Présentation de Monsieur Capuron : ce Monsieur a définit la gémellité comme étant l'arrivée d'un second bébé ( surprise!) après la naissance du premier (celui qui était attendu ,seul) .
La sage-femme communique le poids ( en livre et oz...) : 1,860 kg
Le médecin: " Madame ,il y a un second bébé"
Maman éclate de rire:"la bonne blague!, Docteur ,mais franchement vous croyez que c'est le moment ...", une fois qu'elle arrive à se reprendre.
Papa , il est derrière la porte ,il ne sait rien...
La sage-femme :" .... Madame ,le Docteur ,il est sérieux . Il y a un second bébé, le premier est trop petit..."
Maman :" Ah bon... "( bonjour la surprise !!)(de nos jours ,on parlerait en Amérique du choc gémellaire)
Le Docteur : Oui ,Madame..
....et en paroles " il peint le tableau en noir", avec un descriptif pas très réjouissant :"Vous comprenez ,on ne le connaît pas ,ce second bébé, on ne l'a jamais perçu, ni entendu pendant la grossesse.Je ne vous cache pas que ce n'est peut-être pas un enfant viable".
Le coup de massue.
Anesthésie légère, car il faut aller le chercher ; il arrive par les pieds.
07h du matin, Maman est de retour dans sa chambre.Papa est parti travailler en sachant qu'il a 2 bébés ,dont un peut-être pas viable
07h20, Maman pleure, c'est le baby blues à la vitesse grand V.
11 h : le médecin vient donner quelques petites nouvelles : 2 filles,chance de survie,... blablabla..., longue hospitalisation à prévoir pour bébé 2 si survit, 6 mois minimum, puis on avisera." Lors du retour de votre mari, Madame ,on ira les trouver "
Papa au travail ,annonce la nouvelle à un de ses collègues ,puis se fait convoquer par son chef : "Monsieur, vous êtes renvoyé"
Blanc comme une lavette, Papa finit sa journée de travail ,trouve un accord avec son chef qui lui accorde 2 semaines de bonus, et de retour à la maternité, il sait que les assurances ne prendront pas en charge bébé 2. C'est le renseignement qu'il a réussi à glaner.
A la maternité , Maman :" tu en fait une de ses têtes , tu as des mauvaises nouvelles, Chéri?"
Papa : "non..."
Maman : " menteur, dis-moi ce qui se passe..."
Elle arrive finalement à lui tirer les vers du nez :" Problème financier en vue..."
Maman ,sous le choc: " pas grave ,ce qui compte ,c'est la vie des filles..."
Le médecin arrive ,et on vient nous rendre visite.
Dominique en premier: 1,860 kg, un peu rouge, chance de survie très bonne, blablabla, on s'approche de la couveuse..
Les parents : "...Elle n'est pas bien grosse, notre Dominique..."
On y reste un moment, pose-t-on des questions? ...
.. Le médecin: " il faut allez trouver votre seconde fille . Qui se prénomme ...?"
Les parents :"... Nous n'avons pas de second prénom... ... Pas eu le temps d'y réfléchir"
Le médecin: "J'imagine bien ,c'est toutefois assez urgent ,presque prioritaire, votre prochain travail..."
Les parents : "Vous nous laisser 24 à 48 heures, s'il vous plait."
Le médecin :" 48 heures grand maximum, votre second bébé est dans une autre salle, il a un autre aspect:il est pâle ,avec une peau un peu fripé, et il pèse 980 grammes" on se déplace ..." chance de survie 50 %, prévoir 6 mois d'hôpital minimum, séquelles impossibles à définir..."
Maman reste interdite et muette
Papa , finalement , parce qu'il faut bien dire quelque chose : " elle ressemble à un poulet" Ce sont les seules paroles prononcées .
Au 3e jour de vie, appel du service :" il faut faire baptiser les enfants , et nous donner le prénom de bébé 2 "
Les parents:" Bébé 2 se prénomme Sabine. Baptiser ???????"
Le médecin : "Sabine ne passera probablement pas la prochaine nuit, nous souhaiterions que vous appeliez la personne de votre choix pour cette cérémonie, si vous la souhaitez. Les circonstances font que nous ne pouvons la retarder à demain"
Cérémonie de baptême, dans la soirée.
Le lendemain matin , l'équipe médicale me retrouve vivante, met le branle-bas de combat en route pour me garder en vie, transfusions et le reste, ... on va même jusqu'à acquérir une balance graduée en grammes pour pouvoir donner des nouvelles "positives" à mes parents.
-Sabine à pris 4 ou 6 grammes , c'est psychologiquement plus bénéfique qu'un tiers ou un quat os.!
On fait fabriquer du sur-mesure pour moi : biberons, vêtements et "autre accessoires ".
Dominique rentre à la maison après 6 semaines.Maman fait les trajets .Papa a retrouvé du travail ,assez facilement.
Après 3 mois et demi d'hospitalisation , l'équipe médicale annonce que je rentre aussi ( je ne pèse pas tout à fait 2 kg) à la maison.
Les parents sont surpris et demandent 2 jours pour pouvoir s'organiser ; ils n'avaient rien encore acheté...
Je suis conviée à rejoindre ma jumelle et mes parents , parce qu'à l'hôpital 3 infirmières s' occupent de moi en 24 heures, et que psychologiquement , c'est meilleur d'être en famille. Explications. Sauf soucis majeur, on souhaite ne pas me revoir.
baptême officiel : le 26 mars 1967 ,en Suisse ,avec nos parrains et marraines, lors d'un voyage .
Pour les séquelles ,les médecins américains ne se sont pas prononcés ; ils ont simplement dit : on suit l'évolution et en cas de soucis , on vous avertit. On ne prévoit pas de contrôle particulier. En 5 ans ,2 alertes pour taux de sucre bas. C'est tout. Une hypotrophie marquée aussi, constitutionnelle ( je crois que c'est le terme médical)
Arrivée en Suisse, à l'âge de 5 ans et demi ; les parents souhaitant que nous fassions nos études en Europe ( sinon ils sont coincés 20 ans aux States¨!!!! et nous devenons américaines).
L'école en français ,alors que nous parlions américains et suisse-allemand: pas facile. Nous avons débuté par une école spécialisée pour ce genre de difficultés d'intégration.
Choix du pédiatre : on nous dégotte" le spécialiste "de la région, en génétique pédiatrique. Il a émis le souhait de faire des recherches/études sur notre cas dès le début.Refus parental. Il a trouvé un autre moyen : me faire hospitalier sous un prétexte futile de fatigue extrême, 10 journées d'examens douloureux et inutiles( cobaye pour la science ,je sais de quoi je parle !! ). Puis demande du pédiatre pour hospitaliser ma soeur " pour comparer". Maman a signé une décharge et je suis sortie ( ouf). Ce pédiatre a essayé par la suite de renouveler ses tentatives,toujours en s'adressant à moi. J'ai toujours dit non ,par crainte de revivre toutes ces piqûres et ces examens "débiles". Bien m'en a pris. Lorsqu'on a demandé a changé de pédiatre, vers 12-13 ans, refus parental ( parce que c'était le "spécialiste en génétique pédiatrique"). A 16 ans ,nous avons remis le sujet sur le tapis, et obtenu gain de cause pour la consultation suivante qui nous permettait de faire transférer le dossier chez le médecin de famille et lui dire au revoir.
Commentaire :
J'ai posé la question de savoir si nous avions été "victimes " du S.T.T. à Monsieur le Professeur Yves Ville . Officiellement ,nous n'en avons pas la preuve. Même si les examens ont été fait aux U.S.A ( ce qui est fort probable : examen anatomopathologique du placenta , et communications inter-cordons). Pour retrouver traces de cela plus de 20 ans plus tard, depuis l'Europe , nous n'avons pas fait de démarches. La probabilité que ce soit ce syndrome est grande.La définition a aussi changé entre-temps. Lorsqu'on lit la documentation sur ce sujet ,,je mesure également la chance que j'ai d'être en vie.
Si notre naissance avait eu lieu en Europe, à cette époque-là, mes chances de survie aurait été largement moindre, voir nulle. On m'aurait laisser végéter, sans soins. Les centres de néonatalogie n'existaient encore pas sur notre continent. Aux U.S.A., il s'occupaient de ce genre de nouveaux-nés, avec probablement d'autres enfants/ adultes( maintenenant) qui en ont gardé des séquelles graves. Il faut le savoir. La recherche et les progrès sont à ce prix.
Traitement miraculeux, comme on peut le lire ailleurs ? Non. Des médecins qui souhaitent aider les jumeaux monochoriaux qui sont en souffrance. Avec une pensée pour le côté humain, même si il a fallu des échecs pour obtenir une solution qui sauve une partie d'entre eux. C'est un espoir que l'on donne aux foetus atteint de cette pathologie, une thérapie in-utéro invasive. Pour ne plus jamais entendre un médecin dire :" La seule solution ,c'est de tuer le plus petit" .Ma jumelle a crié "assassins", lorsque nous assistions à une conférence où c'est la méthode qui a été signalée pour être l'unique moyen de leur venir en aide. A cette époque-là, Yves Ville et quelques collègues travaillaient déjà sur cette solution .Elle était à ces tout début et j'ai eu le privilège d'être invitée à écouter une conférence...D'autres collègues ont appris, des études sont en cours...
Merci à "Ramener la lune" de nous avoir fait partager ce bout de chemin.
Sabine, jumelle MZ , transfuseur de STT
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